28.

Comment s’y prendre pour persuader les Kramer de ne pas démissionner ? se demandait Howard Altman. Olsen a raison. Le type qu’il a renvoyé à cause de moi dans l’immeuble de la 98e Rue nous faisait faire des économies. Je ne l’avais pas compris. Olsen refuse d’y faire des réparations importantes. L’immeuble voisin est sur le marché et quand il sera vendu, il est certain qu’on lui fera une offre conséquente pour le sien. L’ancien gardien maintenait les choses en état avec des bouts de ficelle. Le nouveau a établi une liste de toutes les réparations nécessaires et passe son temps à avertir Olsen que tout va tomber en ruine si on ne les fait pas.

J’aurais mieux fait de me taire, mais pourquoi les Kramer ont-ils besoin d’un appartement de trois chambres ? Ils n’en utilisent jamais qu’une seule.

De temps en temps, quand Altman s’arrêtait chez les Kramer, il demandait la permission d’utiliser leurs toilettes. Il en profitait pour jeter un coup d’œil dans les chambres d’amis. En dix ans, depuis qu’il était entré au service d’Olsen, il n’avait pas vu un seul changement dans la disposition des ours en peluche sur les oreillers. Il savait que les Kramer ne se servaient jamais de ces chambres, mais il aurait dû comprendre que Lil Kramer tirait une fierté de petite-bourgeoise de son grand appartement.

Et les petits-bourgeois, ça me connaît ! pensa-t-il amèrement. Quand j’étais gosse et que papa a acheté sa première voiture neuve, la moins chère du magasin, on aurait dit qu’il avait gagné au loto. Il a fallu la faire admirer à tous les membres de la famille parce qu’il voulait les voir baver d’envie.

Je pourrais en écrire des tartines sur ce gâchis qu’a été ma famille, se dit-il en soupirant. En tout cas, il ne pouvait pas laisser les Kramer partir à la retraite. Olsen finirait peut-être par s’y faire à condition qu’il trouve rapidement des remplaçants convenables. D’autre part, il était capable de le virer et de refiler son job à son débile de neveu. Au bout d’un mois, il le supplierait probablement à genoux de revenir, mais c’était un risque à ne pas courir. Il ne lui restait qu’à se débrouiller avec les Kramer.

Durant le week-end, il passa en revue les solutions possibles. Le lundi matin, à dix heures moins le quart, satisfait du plan qu’il avait concocté, il franchit la porte de l’immeuble de West End Avenue.

Implorer les Kramer, leur offrir une augmentation et les assurer qu’ils garderaient toujours leur grand appartement, c’était le contraire de ce qu’il fallait faire, à son avis. Si Gus Kramer pense qu’il lui suffit de donner son congé pour me faire renvoyer, songea-t-il, il le fera même sans en avoir envie.

Quand il pénétra dans le hall, il trouva le gardien en train d’astiquer le cuivre des boîtes aux lettres déjà étincelantes.

Gus leva les yeux. « Je ne vais pas faire ce boulot beaucoup plus longtemps, dit-il. J’espère que le prochain type que vous engagerez sera à moitié aussi compétent que je l’ai été pendant quasiment vingt ans.

– Lil est-elle dans les parages, Gus ? demanda Altman à voix basse. Il faut que je vous parle à tous les deux. Je suis ennuyé à votre sujet. »

Notant l’inquiétude que trahissait le visage de Kramer, il comprit qu’il était sur la bonne voie.

« Elle est dans l’appartement en train de trier des affaires », dit Gus. Sans prendre la peine de donner un dernier coup de poli, il fît demi-tour et traversa le hall. Il tourna la clé dans la serrure, poussa la porte et entra, laissant Altman la retenir avant qu’elle lui claque à la figure.

« Je vais chercher Lil », dit-il d’un ton peu amène.

Pour Altman, il ne faisait aucun doute que Gus voulait parler à sa femme en privé et l’avertir avant leur rencontre. Elle se trouvait probablement dans l’une des deux chambres du fond, occupée à ranger. Elle avait fini par trouver quoi faire de cet espace inutilisé.

Il dut attendre presque cinq minutes avant que les Kramer le rejoignent dans le séjour. Lil Kramer était visiblement nerveuse. Elle se mordait les lèvres et quand Altman lui tendit la main, elle essuya la sienne sur sa jupe avant de la serrer.

Il ne s’étonna pas de lui trouver la paume moite.

Mets-les knock-out d’entrée de jeu, pensa-t-il. Envoie-les au tapis. « Je vais vous parler sans détour, commença-t-il. Je n’étais pas là à l’époque où le fils MacKenzie a disparu, mais j’étais présent l’autre jour quand sa sœur est venue. Lil, vous étiez aussi nerveuse que vous l’êtes en ce moment. Pour moi qui vous observais, il était manifeste que vous redoutiez de lui parler. Preuve que vous savez quelque chose concernant le pourquoi ou le comment de la disparition de ce garçon, voire que vous y êtes tous les deux impliqués d’une façon ou d’une autre. »

Il vit Lil Kramer lancer un regard apeuré à son mari et les joues de Gus se colorer d’un vilain pourpre violacé. Je ne me suis pas trompé, se dit Altman. Ils meurent de trouille. Enhardi, il ajouta : « La sœur n’en a pas terminé avec vous. La prochaine fois elle sera peut-être accompagnée d’un détective privé ou d’un flic. Si vous croyez vous débarrasser d’elle en vous enfuyant en Pennsylvanie, vous vous trompez. Le jour où elle reviendra, si elle ne vous trouve pas, elle posera des questions. Elle découvrira que vous êtes partis brusquement. Lil, à combien de personnes avez-vous dit que vous ne quitteriez pas New York pour tout l’or du monde avant d’avoir quatre-vingt-dix ans ? »

Lil Kramer refoulait ses larmes.

Altman adoucit le ton. « Réfléchissez, tous les deux. Si vous partez maintenant, Carolyn MacKenzie et la police seront persuadés que vous avez quelque chose à cacher. Je ne sais pas de quoi il s’agit, mais vous êtes mes amis et je veux vous aider. Laissez-moi annoncer à M. Olsen que vous avez changé d’avis et ne désirez plus partir. La prochaine fois que Carolyn MacKenzie vous demandera un rendez-vous, prévenez-moi, je serai là. Je lui dirai fermement que la gérance s’oppose à ce qu’elle harcèle les employés. Et je lui rappellerai par la même occasion que c’est un comportement passible de poursuites. »

Il vit le soulagement sur leurs visages et sut qu’il avait convaincu le gardien et sa femme de rester. Sans leur accorder d’augmentation ni avoir promis de les laisser dans l’appartement, se félicita-t-il.

Mais tout en acceptant la gratitude obséquieuse de Lil et les remerciements laconiques de Gus, il brûlait de découvrir la raison de leur peur. Que savaient-ils de la disparition de Mack MacKenzie dix ans plus tôt ?

Où es tu maintenant ?
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